Galerie des bibliophiles : Contes et Discours
Parus en 1585, et édités chez Noël Glamet de Quinpercorentin par « le feu seigneur de la Herissaye », ils représentent selon la Borderie un « cas bibliographique étrange et rare ».
Cette fois du Fail ne se dissimule plus derrière un pseudonyme, mais il se donne pour mort, alors que par ailleurs il revendique ardemment l’honorariat de sa charge de conseiller au Parlement, et il se fait éditer chez un imprimeur fantôme…
Ces « Contes d’Eutrapel », comme si souvent appelés, malgré leur titre, ne sont pas une simple collection de récits ou de nouvelles, mais le recueil étalé sur une longue période de la vie de l’auteur, des conversations entre trois personnages principaux, POLYGAME, EUTRAPEL et LUPOLDE, pseudonymes transparents de François du Fail, le frère aîné , seigneur de Château Letard, de Nöel du Fail, et de Colin Briand, son précepteur / souffre douleur, néanmoins affectionné, qui le suivit durant ses jeunes années .
Ces conversations véritables, soutenues par des personnages réels, qui ont chacun leurs goûts, leurs passions, diverses et opposées parfois, sont des rencontres pleines de vie qui font l’intérêt du livre. Chaque chapitre est une causerie entre amis, pleine d’imprévu, de décousu, de variété et de naturel, allant du plus plaisant au plus grave, sans qu’aucun fil directeur puisse être trouvé dans l’ordonnancement de l’ouvrage.
Polygame et Lupolde ne sont pas de simples interlocuteurs, uniquement chargés de varier la forme du discours et de donner la réplique à Eutrapel, mais des personnages à part entière avec leurs caractères bien trempés et leurs idées arrétées.
Eutrapel ,c’est l’homme enjoué , plaisant, qui vit sans gène, parle sans contrainte, déteste les faussetés, les chicanes, les sophismes et les hypocrisies trop fréquentes dans le commerce des hommes , et qui dit de lui-même :
« j’ay chansté quand il m’a pleu, beu quand j’ay eu soif, resvé et solitairement entretenu mes pensées et souhaits lorsqu’ils se sont présentez, et, comme disoit le seigneur Grippon de Normandie, me suis toujours retiré des compagnies demie heure avant qu’il me deust ennuyer ; dit librement ce que bon me sembloit, traité reveremment la grandeur du Roy et des princes, ausquels, s’ils me l’ont demandé, je n’ay rien dissimulé ».
Elégant, il se montre « godronné » comme un muguet du jour, avec sa barbe soignée qu’il « contourne », ses moustaches « cordées », sa cape qu’il relève d’un geste noble, son petit chapeau à plumes, son pourpoint rembourré, sa démarche affectée et traînante « à hanches deslouées », ses façons goguenardes et ses répliques sèches et mordantes, surtout à l’endroit de Lupolde.
Beau jeune homme, prétentieux, « Tu es une assez belle happelourde pour en tromper une bien affetée », il est aussi séduisant « Il sçavoit gaingner toutes manieres de gens par une grâce qu’il avoit, oultre le naturel des hommes ».
Familier sans être cordial, ses rapports avec son voisinage, avec les robins qui l’entourent, seront toujours guidés par le sentiment de sa supériorité, liée à son statut social, comme il l’exprime au dernier chapitre de ses Contes : « Ami de tous et familier à peu ».
Lupolde, procureur, avocat, vieux pilier de la justice, rompu à toutes les subtilités de la chicane, trouve l’art malgré son honnêteté, de s’accomoder avec les détours, les faux-semblants, et les ruses dont il faut souvent user au Palais pour triompher de ses adversaires.« Grand et souverain practicien et magnifique songeur de finesses », ainsi le qualifie du Fail.
Eutrapel, qui ne cesse de le harceler, le traite sans façon de « larron chiquaneur », de « chiquannoux griphonnant », de « sophiste modal » et nous le dépeint dans son « estude » d’avocat, « assis en une chaire de bois, emmaillotté et fagotté dans une grosse robe fourrée, deux bonnets en un chapeau, avec ses lunettes entravées sur le nez, faisant semblant minuter quelque chose de haut appareil » !
Comment ne pas se représenter après cette description, ce personnage moyenâgeux engoncé dans ses pelisses, comme nombre de peintures de cette époque nous les montrent dans les musées d’aujourd’hui ?
Polygame, le frère aîné respecté comme tel par Nöel, est le sage, le modérateur, il tempère, condamne les tortueuses subtilités et les douteuses pratiques admises par Lupolde, mais blâme aussi les emportements et les censures brutales du fougueux Eutrapel, et lui enseigne la modération. La droiture de son cœur et de son esprit lui donne l’horreur du vice, de la fraude, de la dissimulation et de toutes les vilaines compromissions échafaudées pour couvrir les manèges de la malhonnêteté.
Polygame avant l’heure, représente dans une forme rudimentaire ce que sera au XVIIème siècle « l’honnête homme » dans l’acception de La Rochefoucauld :
« le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien »
Maxime dont se rapproche celle de du Fail :
« Un philosophe est homme ne prenant party aisément ».
Du vivant de l’auteur, parurent cinq éditions d’Eutrapel, la première en 1585, trois en 1586 et une en 1587.
La plus intéressante est la deuxième de celles de 1586, qui contient neuf additions plus ou moins longues et un texte plus clair que celui de 1585.
Vinrent ensuite assez rapprochées trois autres éditions en 1597, 1598, puis 1603, cette dernière édition étant celle dont sont tirées les vues ci annexées.
Ce ne sont donc pas moins de huit éditions en dix huit années après leur parution qui virent le jour, preuve que ces Contes et Discours furent un véritable succès de librairie.
Ces deux reprographies représentent les deux dernières pages du chapitre final, le chapitre XXXV, intitulé « La retraite d’Evtrapel » des Contes et Discours d’Evtrapel – Edition de 1603.
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